Interview of Robert Boyer for Powergame by Myrto Boutsi (en Grec), en Anglais
Note de lecture à propos de l’ouvrage coordonné par D. Hugh Whittaker D.H., Sturgeon T., Okita T. & T. Zhu (eds) (2020), Compressed Development: time and timing in economic and social development, Oxford, Oxford University Press., Revue de la Régulation, Vol. 31, Décembre 2021.
BFM Business, la librairie de l’éco, Présentation de l’ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie« , Emission « le duel des critiques », animée par Emmanuel Lechypre, Christian Chavagneux et Jean Marc Daniel, 10 décembre 2021.
Invité France Culture, Les Matins Emission animée par Guillaume Erner, le 7 Décembre 2021 (Présentation de l’ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une Science ? Epistémologie de l’Economie« , Editions de la Sorbonne, Paris, Novembre 2021.
La crise sanitaire a chamboulé l’activité économique, mais aussi celles et ceux qui tentent de l’étudier scientifiquement, dont les prévisions ont été bien souvent mises à mal. Nous en parlons ce matin avec Robert Boyer, économiste.
On se rappelle qu’au début de la crise sanitaire, les prévisions économies pour l’après-crise étaient toutes plus apocalyptiques les unes que les autres : chômage de masse et magasins vides étaient annoncés de toute part. Près de deux ans après le début de la crise, si nous ne vivons pas pour autant un boom économique, il semble néanmoins que la situation n’est pas aussi grave que prévu.
C’est l’occasion de s’interroger sur la difficulté qu’il y a à prédire les prises et leurs conséquences, et du même coup, sur l’utilité de la discipline économique. Cette dernière se présente volontiers comme la plus scientifique et mathématique des sciences sociales, et pourtant, elle semble avoir bien peiné face à la crise sanitaire. A quelles conditions peut-elle alors prétendre traiter plus justement les périodes de crise comme celle que nous connaissons ?
Ce sont les questions que nous abordons avec Robert Boyer, économiste, directeur d’études à l’EHESS et membre du conseil scientifique à l’Institut des Amériques (CNRS), auteur de Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Épistémologie de l’économie (Editions de la Sorbonne, 2021) et de Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie (La Découverte 2020).
Les biais de la macroéconomie classique
Dans vos deux derniers livres, l’interrogation est au fond la même : vous commencez par vous demander quelles sont les conséquences économiques de la pandémie, et puis vous dites également que votre discipline a du mal à prévoir les conséquences d’une crise comme la pandémie. Pourquoi a-t-on tant de mal à le faire ? Pourquoi cette situation économique, qui n’est pas si catastrophique que cela, n’a-t-elle pas été prévue par la profession ?
Il faut savoir que la discipline économique s’est fondée sur quelques postulats qui ont fait son succès mais qui l’ont séparée des autres disciplines. La Covid a été interprétée comme un mauvais moment à passer, et dès que les vaccins ont été mis au point, on a dit que la crise allait se terminer. Pour les économistes, déclaration valait action.
Un deuxième élément, c’était l’idée qu’un équilibre nous attendait, quelque part. Toute la théorie moderne de la macroéconomie, notamment celle de Keynes, c’était l’idée qu’il y avait des déséquilibres permanents et structurels La nouvelle théorie macroéconomique dit au contraire : il y a un équilibre stable, et seuls des éléments imprévus le perturbent. Or est-ce que la pandémie était si imprévue ? Non, beaucoup d’experts avaient évoqué la menace. Donc la question est celle de l’isolement des économistes. Il faudrait remplacer la notion d’équilibre par celle de processus interactif : processus interactif du virus, celui des décisions politiques, celui de la finance…
Les économistes classiques diraient que c’était un mauvais moment à passer. Mon livre consiste plutôt à dire cela vient des fondements même, au cours des 25 dernières années, des concepts qui nous ont écartés de la situation du monde réel.
Histoire des crises économiques : où l’on apprend que comparaison n’est pas raison
Les premières comparaisons qu’on a faites étaient donc complètement hors sujet : on a parlé de la crise de 2008, de la crise de 1929, de la peste noire…
C’est un biais quantitativiste : 1929, c’était l’effondrement d’un régime d’accumulation. Les agents avaient l’habitude d’agir au jour le jour, et la dynamique était telle que les actions étaient compatibles. Brutalement, en 1929, alors que tous les économistes imaginaient une prospérité infinie, voilà que s’effondrent les marchés financiers, et les agents sont titanisés. De même, en 2008 : c’était l’euphorie, et les actifs ne peuvent plus être évalués.
La crise, c’est l’arrêt. Les économistes considèrent que c’est la chute absolue du PIB qui compte, or cette chute peut être due à une crise financière, à un virus ou à la dynamique normale de l’accumulation. Sans prendre cela en compte, ils ont comparé les crises quantitativement, alors que leurs causes n’ont rien à voir : elles sont ici exogènes, là endogènes.
Le poids du politique sur l’économie
Beaucoup d’économistes prévoyaient une sorte de fin du monde, avec beaucoup de chômeurs et de grandes difficultés. En Europe et aux Etats-Unis, on a assiste à quelque chose de très différent : il y a des tensions sur le marché de l’emploi parce que l’on ne parvient pas à embaucher, les marchés financiers n’ont jamais été aussi haut, et un certain nombre de matières premières sont également très chères. C’est le contraire de ce que l’on avait prévu.
Si l’on revient à 1929, on parlait de « la Dépression ». Ce qu’on a oublié, c’est qu’autant le virus était exceptionnel, autant les politiques ont été totalement atypiques : tous les pays ont relancé d’environ 5 à 10% du PIB. C’est ce soutien des revenus qui a totalement changé l’attitude des salariés : au lieu d’être précarisés et de faire la queue, voici qu’ils ont pu arbitrer et choisir de ne pas retourner à un emploi trop difficile. Le processus politique a annulé les conséquences traditionnelles. Cela montre qu’il peut changer la dynamique, qui n’était pas absolue.
D’où le paradoxe suivant : les salariés sortent plutôt renforcés de cette dynamique, parce que leur revenu a été soutenu. Sans compter que la Covid a révélé combien des emplois étaient difficiles à assurer. Voilà qu’on découvre, dans la crise, les problèmes cachés de la décennie précédente. Une faiblesse de la théorie traditionnelle, c’est qu’elle ne prend pas en compte le temps historique : fondamentalement, la prospérité engendre la prospérité. Pour la Théorie de la régulation, la prospérité engendre des comportements déviants qui vont faire passer de la régulation à la crise.
Entretien entre Robert Boyer et Easynomic, 29 novembre 2021.